Prévention primaire
Plusieurs substances ont été investiguées dans un potentiel rôle de facteur de risque pouvant favoriser le développement d’un CaP. Aucune corrélation n’a été trouvée avec certains aliments (e.g. viande, alcool, acides gras oméga‑3, lycopène ou matières grasses), le syndrome métabolique, la vitamine D ou les inhibiteurs de la 5‑α-reductase [
12].
Il existe plusieurs études qui mettent en évidence un taux diminué de mortalité chez des patients diabétiques traités par metformine et atteint de CaP ; bien que le mécanisme antitumoral ne soit pas bien identifié (probable effet inhibiteur du médicament sur les cellules tumorales), le protocole expérimental STAMPEDE, utilisé dans le monde entier, prévoit l’introduction d’un traitement soit par metformine soit avec des anti-androgènes de deuxième génération (e.g. enzalutamide) pour le CaP avancé [
13].
Une étude américaine montre une incidence diminuée du CaP chez des patients avec plus de 21 masturbations/éjaculations par mois par rapport à des patients avec 4–7 rapports sexuels par mois [
14].
Cette donnée, si mise en corrélation avec une augmentation de l’incidence de CaP chez les patients qui ont fait une vasectomie, peut suggérer un rôle probable de la stagnation du liquide spermatique (inflammation locale ?) sur le développement d’un CaP.
Finalement le tabac, le travail nocturne, l’exposition au cadmium et la gonorrhée sont des facteurs en cours d’investigation, avec plusieurs articles qui évoquent un possible rôle en tant que facteurs de risque pour le CaP; les phyto-oestrogènes semblent par contre avoir un rôle préventif.
Etant donné que le CaP est une tumeur hormono-sensible, il est important aussi de noter que l’administration de testostérone chez des patients avec un hypogonadisme n’augmente pas le risque de CaP [
15].
Prévention secondaire
Le dosage sanguin du PSA en est la pierre angulaire du screening. Toutefois son interprétation requiert des nuances particulières. En premier lieu, en cas de PSA élevé, il faut répéter un dosage quelques semaines plus tard pour écarter tout impact du rythme circadien ainsi qu’un biais du laboratoire. Deuxièmement, il faut s’assurer que le PSA ait été effectué en absence de facteurs confondants, tels qu’une infection urinaire, une stimulation prostatique mécanique (par exemple le toucher rectal [TR], échographie transrectale ou cystoscopie), un rapport sexuel, un tour en vélo ; toutes ces conditions peuvent provoquer une augmentation du PSA. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le PSA est un marqueur spécifique d’organe mais pas de maladie. Il peut également être augmenté en présence d’une importante hypertrophie bénigne de la prostate et/ou une prostatite chronique.
Il existe plusieurs paramètres qui peuvent aider à préciser la potentielle “significativité cancéreuse” du PSA. Plusieurs études montrent que la valeur initiale du PSA peut déjà classifier les patients en groupes de bas ou haut risque de présenter un CaP. Le Malmo Preventive Project (suivi de 1.167 patients durant 25 ans) montre que la plupart des décès liés au CaP (>90 %) survient chez les patients avec un PSA >2 ng/ml à l’âge de 60 ans [
16]. L’étude ERSPC montre d’ailleurs qu’avec un PSA initial <1 ng/ml, le risque de présenter un carcinome de la prostate (PCa) est proche de 1 % [
17]. Par contre, les hommes avec un PSA >1 ng/ml à 40 ans ou >2 ng/ml à 60 ans ont un risque plus élevé de présenter une maladie plus agressive en termes de mortalité/morbidité dans les années à venir [
18]. Par ailleurs, une intéressante étude montre qu’un seul dosage du PSA, effectué entre 50 et 69 ans, fait uniquement augmenter les diagnostics de CaP mais n’a aucune diminution significative sur la mortalité des patients [
19], d’où la nécessité de mettre en place une stratégie de détection précoce à long terme.
Lorsque le PSA est autour de la limite supérieure de la norme (4 ng/ml), trois paramètres apportent certaines précisions.
La densité exprime le rapport entre PSA et le volume de la prostate ; elle est utile pour différencier une augmentation du PSA lié à une hyperplasie prostatique significative.
Le
ratio exprime le rapport entre PSA libre et PSA lié aux protéines. Inférieur à 0,10, il en impose pour un risque plus élevé de CaP. Une étude effectuée chez 773 patients âgés de 50 à 75 ans avec un PSA entre 4 et 10 ng/ml, démontre qu’en présence d’un ratio >0,25 le pourcentage de CaP retrouvé est de 8 % contre 56 % lorsque le ratio <0,10. Cependant le ratio n’est pas fiable pour un PSA >10 ng/ml [
20], reste non spécifique et doit être intégrée dans un contexte clinique précis.
La vélocité exprime la cinétique d’augmentation de la valeur du PSA dans le temps. Elle peut être évaluée comme valeur absolue d’augmentation annuelle du PSA (mesurée en ng/ml/an) ou comme temps de doublement. Elle participe à la décision d’effectuer une biopsie si son augmentation est significative dans un court intervalle de temps. Ces trois paramètres restent malheureusement insuffisants à eux seuls pour poser l’indication à une biopsie.
Le
TR est, au contraire du PSA, un test très spécifique mais avec une faible sensibilité ; combiné au dosage du PSA, il permet d’augmenter l’efficacité du dépistage. Il doit être effectué par le médecin de famille ou par l’urologue ; malheureusement, il n’est pas garanti d’avoir une sensibilité optimale si le test est effectué par un médecin non expérimenté. Un TR permet normalement de diagnostiquer des tumeurs localisées dans la zone périphérique de la prostate (la majorité d’entre elles s’y situent), si le volume du nodule est >0,2 ml. Un TR suspect a une valeur prédictive positive importante et est souvent en lien avec une maladie de haut grade ou localement invasive [
21].
Face à toutes ces nuances, le contexte clinique et l’expérience sont incontournables pour éviter d’effectuer des biopsies inutiles ou poser des diagnostics sans bénéfice sur l’espérance de vie ou la qualité de vie d’un patient. En résumé, les EAU Guidelines proposent d’adapter la stratégie de dépistage à la valeur du premier dosage du PSA : par exemple, un dosage aux 2 ans face à un PSA initialement déjà élevé, ou aux 5–6 ou voire 8–10 ans face à un PSA toujours bas (par exemple PSA <1 ng/ml à 40 ans ou PSA <2 ng/ml à 60 ans) [
22]. Le taux de PSA doit être intégré par rapport à la présence de facteurs de risque avérés, qui sont
l’histoire familiale de tumeur de la prostate ou la
race noire. Notamment les hommes avec trois proches atteints ont un risque de CaP beaucoup plus élevé par rapport à des patients sans histoire familiale (11,4 % vs 1,4 %). Les patients de race noire présentent plus souvent une maladie avancée et un taux de récidive plus élevé après prostatectomie radicale par rapport aux patients de race blanche (49 % vs 26 %) [
24]. Par ailleurs, les patients porteurs de la mutation génétique BCRA2 ont aussi un risque de CaP et de maladie de haut grade plus élevé [
23].
Les Guidelines de l’EAU proposent donc d’adapter le dépistage par PSA pour ces populations à risque : la détection précoce doit être proposée dès l’âge de 50 ans pour la population générale, à l’âge de 45 ans pour les patients avec une histoire familiale de CaP ou d’appartenance à la race noire, et à 40 ans en présence d’une mutation génétique BRCA2 (Tab.
1).
Tab. 1
Règles de lʼEAU sur le dépistage du CaP en fonction de l’âge et des facteurs de risque
Hommes d’âge >50 ans |
Hommes d’âge >45 ans en présence d’histoire familière positive de PCa |
Hommes d’âge >45 ans d’origine africaine |
Hommes d’âge >40 ans porteurs d’une mutation BRCA2 |
L’EAU s’exprime aussi quant à la durée du dépistage : si celui-ci a été effectué correctement, il peut être arrêté à 75 ans. Pour les patients plus âgés, aucun dépistage systématique n’est préconisé.
Au plan pratique à ce jour, les trois outils initiaux de détection précoce du CaP sont le dosage du PSA sanguin total, la pratique d’un toucher rectal (TR) et la mesure du volume prostatique (afin d’établir la densité du PSA). L’utilité combinée de ces trois données pour évaluer le risque individuel de CaP a été majorée par l’élaboration de divers nomogrammes (notamment ceux de l’ERSPC, disponible en ligne), qui peuvent être utilisés par le médecin de famille ou l’urologue traitant pour évaluer le risque de CaP. Selon l’importance du risque calculé, on propose une biopsie de la prostate (Risque < 12,5 % → pas de biopsie. Risque 12,5 à 20 % → considérer éventuellement une biopsie selon comorbidités, hérédité, etc. Risque > 20 % → biopsie).
Ces nomogrammes sont recommandés dans les Guidelines de l’EAU.
L’étude prospective de l’ERSPC mentionnée ci-dessus a comparé différentes durées de dépistage, ce qui a permis de démontrer que plus celui-ci est long, plus il est efficace.
Ainsi, le nombre de patients auxquels proposer un dépistage pour éviter un décès dû au CaP (NNS – number needed to screen) diminue drastiquement, permettant de dépasser le dépistage pour le carcinome mammaire en termes d’efficacité et de rapport coût/bénéfice. En termes concrets, le nombre de patients à inclure dans le dépistage pour éviter un décès est de 742 avec un dépistage de 13 ans et de 570 avec un dépistage de 16 ans [
24]. À titre comparatif, le nombre de patientes entre 50 et 59 ans auxquelles proposer une mammographie pour éviter un décès dû au cancer mammaire est de 1.340.
Ces directives n’empêchent pas d’effectuer un dosage du PSA chez un patient de plus de 75 ans en parfait état général avec une espérance de vie de 15 ans. La règle suggère d’effectuer un dépistage chez un patient avec une espérance de vie de >10–15 ans, car poser un diagnostic de CaP chez un patient avec une espérance de vie restreinte n’aura pas d’impact sur la mortalité du patient. Au contraire, cela engendrera une augmentation du taux de surtraitement et, par conséquent, une augmentation du risque de complications possibles, et donc du taux de morbidité, ainsi que du coût sanitaire.
Cependant, l’investigation d’un patient plus âgé mais symptomatique avec une suspicion clinique de CaP reste une option valable, dans le but de mettre en place un traitement palliatif.
Typiquement, il est possible d’avoir des patients âgés qui deviennent symptomatiques sur un CaP avancé, par exemple:
-
douleur lombaire (ou en général osseuse) en cas de tassement métastatique de la colonne vertébrale;
-
rétention urinaire du fait de l’hypertrophie prostatique tumorale;
-
dilatation pyélocalicielle (compliquée soit d’une insuffisance rénale, d’une douleur lombaire ou d’une pyélonéphrite) sur compression urétérale extrinsèque.
En présence d’une des complications susmentionnées, il est toujours possible de mettre en place un traitement palliatif, notamment un traitement systémique par déprivation androgénique, couplé à un éventuel traitement local (e.g. radiothérapie ciblée sur les métastases, intervention désobstructive prostatique, mise en place d’un drainage rénal, etc.).